Do it like a dude !

Ce matin là, Vincent ne se réveilla pas à l'heure. Mais il décida qu'il en avait sa claque de ce boulot de merde et resta couché. Quand il se leva enfin, quelques heures plus tard, le magasin avait appelé plusieurs fois sur son portable et laissé message sur message. Il les effaça sans les écouter et regarda sur internet combien il lui restait sur son compte. Juste assez pour payer deux loyers, ou un seul loyer et beaucoup de bière. Ce serait bien evidemment la seconde solution. Il squatta son lit toute la journée, son pc sur les genoux, et estima vers 18 heures qu'il était l'heure d'aller se racheter des cigarettes. Il déscendit donc de chez lui, portant un jean mal lavé et une chemise noire aux manches retroussées, et se posa comme il le faisait souvent à la terrasse du Nazir, où on pouvait boire une bière en plus d'acheter du tabac. Il resta là une petite heure à regarder les gens passer, enchainant les moments de stress où il se demandait ce qu'il allait bien pouvoir faire sans boulot, et les moments de détente où il rêvait simplement à autre chose que sa propre vie.

Une bande de jeunes avait entrepris de venir se rincer le gosier en bande et commençait à devenir vraiment bruyants, mais cela ne le dérangeait pas du tout. Il se surpris même à s'endormir quelques secondes sans s'en apercevoir. Puis, une sublime jeune fille brune vint s'assoir à la table d'à côté. Comme elle était très belle, elle retint son attention quelques secondes, et il lui jeta un regard neutre avant de s'en désintéresser. Il n'était pas du genre à mater les filles sous tous les angles pendant des heures. Pourtant, il fut particulièrement surpris de la voir venir s'assoir à côté de lui pour lui offrir un verre. C'était la foire aux jolies filles ou quoi ? Hier soir, une jolie blonde, et aujourd'hui une belle brune. Vincent estima que ça devait être sa semaine de chance, mais ne parut pas pour autant sauter de joie sur son siège. Il esquissa un vague sourire pas très convaincu avant de répondre à la charmante demoiselle d'un air relativement embarassé.

- Heu... Avec plaisir, merci... Merci de te préoccuper de ça.

Il se demanda quelles étaient les réelles motivations de cette jeune fille. Il n'avait vraiment pas l'habitude qu'on l'aborde de la sorte.

Etonnament, la jeune fille ne lui donna pas son nom, et ne lui posa pas de questions. En général, quand quelqu'un offre un verre à un inconnu, c'est parce que la personne l'intéresse à priori, et qu'il voudrait en savoir plus. Mais là, non. Vincent tourna lui aussi la tête vers les passants devant eux, mais se sentit mal à l'aise. Cette femme à côté de lui avait beau être agréable à regarder, il n'aimait pas cette sensation de n'être plus seul pour s'adonner à son occupation. C'était aussi désagréable que lorsqu'on se penche par dessus votre épaule pour lire ce que vous êtes déjà vous-même en train de lire. Très agaçant. On aimerait bien être tranquille quand on s'adonne à un passe temps solitaire. Surtout qu'elle ne semblait pas décidé à faire autre chose que squatter à côté de lui. Il aurait préféré qu'elle ne soit pas là, mais il n'était pas assez mauvais pour lui dire de dégager. Peut-être avait-elle voulu échapper à quelqu'un en se rapprochant de lui ? Qui sait. Bon, ça ne le dérangeait pas tant que ça, si c'était pour ce genre de raison.

Puis, elle décrocha son téléphone. Et bien malgré lui, Vincent entendit la conversation. Il n'y fit pas vraiment attention jusqu'à entendre le mot "Agrippa". Il ne se trouna pas vers elle ni ne sursauta, mais sentit tout son corps se tendre. La seule personne qui lui avait parlé de l'agrippa était un vampire. Celui qui l'avait initié. Depuis le temps, Vincent n'était même plus sûr de croire à ce genre de choses. Mais là, quelqu'un de complétement étranger à lui avait prononcé ce mot. Elle faisait des recherches sur l'Agrippa ? Peut-être était-ce une fille qui voulait en savoir plus sur les vampires. En tout cas, elle était sur la bonne voie. Ou alors, il s'agissait de complétement autre chose... Mais Vincent tenta tout de même une approche lorsqu'elle raccrocha en se tourna vers elle. Dans sa voix, on sentait un véritable intérêt né tout à coup du néant qui le précédait.

- Tu connais l'Agrippa ?

Une question ouverte. Rien que l evampire ne lui ait interdit de dire. Ce serait à cette fille de lui dire s'il avait raison ou non.

Vincent esquissa un sourire beaucoup plus sincère que le premier lorsque la fille lui répondit. Elle avait marqué un temps avant de répondre à sa question, et il était sûr que ce n'était pas parce qu'elle n'avait pas compris ce qu'il voulait dire, au contraire. Il avait attendu ce moment chaque jour depuis sept ans. Il avait attendu qu'un signe se présente à lui, que quelque chose se passe ailleurs que dans ses rêves. Cette fille connaissait l'Agrippa, et elle était particulièrement charismatique. C'était peut-être un vampire, comme ce type d'autrefois ? Il lui avait dit que beaucoup d'être surnaturels vivaient à Paris. Ca ne pouvait pas être un hasard. C'était son destin. Son coeur se mit à battre et en lui rayonna une chaleur réconfortante qu'il n'avait pas ressenti depuis plusieurs années. C'était le moment, et il s'incarnait en une magnifique jeune femme. Il avait souvent rêvé de cet instant et savait exactement comment réagir. Il décida de tenter sa chance. Il n'avait rien à perdre.

- Je suis un initié.

Une chance sur deux pour qu'elle comprenne. Pour qu'elle soit celle qu'il attendait. Une chance sur deux pour qu'il s'en retourne chez lui ce soir aussi déprimé qu'au matin, ou pour que sa vie prenne enfin le tournant décisif auquel il aspirait. Peut-être même était-elle venue le chercher en toute connaissance de cause. Peut-être qu'elle connaissait ce vampire et qu'elle voulait prendre sa suite. Ou alors, il s'agissait là seulement d'un des plus gros coups de chance de sa vie. Aucune des deux hypothèse n'était impossible, et il n'en préféra donc pas l'une à l'autre. Dans ses yeux, Kage pouvait voir l'étincelle de vie qui lui manquait jusque là. Elle pouvait y contempler l'espoir, mais aussi l'enthousiasme, et surtout... La preuve incontestable qu'il savait ce dont il était en train de parler.

Vincent se demanda s'il s'agissait d'un rêve. Il avait souvent rêvé de ce genre de scènes, en effet. Il se voyait face à la preuve irréfutable que ce monde était bien réel, transcendé par cette vérité incroyable, puis se réveillait dans son lit avec hargne et désespoir. Tant pis, si c'était un rêve, c'était un beau rêve ! Autant en profiter. Il répondit machinalement : "D'accord" lorsqu'elle lui dit qu'elle allait chercher d'autres verres et resta là, avec sa clope, complétement défrisé par ce qui était en train de lui arriver. Cette fille avait l'air de le prendre au sérieux. Mais en plus d'être magnifique, c'était à tous les coups un être surnaturel. Il se demanda ce qu'elle pensait de lui. Si elle le trouvait ridicule ou idiot. Apparemment non, mais il espérait que cela resterait ainsi. Tout à coup, ses sens s'aiguisaient. Il revenait à la vie et sentait à nouveau son corps lui appartenir. Pour la première fois depuis longtemps, il n'avait pas envie de mourir. Il avait seulement envie d'en savoir plus, et se demandait jusqu'où le mènerait cette rencontre fortuite.

Quand elle revint et lui demanda de lui raconter son histoire, il prit une autre cigarette de son paquet pour l'allumer, et lui donna son nom après un silence presque trop long. Puis il lui expliqua pour Gabriel, ce vampire qui était venu à lui alors qu'il n'était qu'au lycée, et lui avait tout expliqué. Il lui expliqua également que sa situation actuelle n'avait rien d'enviable, avec une certaine honte, et termina son discours ainsi :

- Je crois que... J'ai toujours attendu que quelqu'un comme toi arrive. Sans jamais y croire tout à fait.

Il semblait vraiment embarrassé de dire cela à haute voix. Et il ne put réprimer toute la tristesse qui s'était accumulée en lui au cours des années. Il du se forcer à ne pas laisser des larmes monter jusqu'à ses yeux, et espéra qu'elle ne verrait rien. Il fallait qu'il se concentre, pour ça. Tant d'émotions le submergeait à ce moment précis, et il était si heureux tout en se sentant si ridicule... Avec un peu de chance, se dit-il, elle ne pourrait pas lire en lui cette pensée.

Kage ne devait sans doute pas se rendre compte à quel point elle était le messie dans la vie de Vincent. Il n'avait jamais regardé une fille de cette façon. C'était vraiment trop beau pour être vrai. Elle débarquait dans son existence et lui proposait de l'investir dans le monde qu'il avait toujours voulu connaître. Il l'écouta attentivement lorsqu'elle lui raconta son histoire, se contentant de poser une question de temps à autre, sans la couper dans son récit autrement que de cette façon. Il se demanda pourquoi elle lui racontait tout cela aussi facilement. Elle devait sans doute se sentir très seule. Le fait qu'elle passe un long moment à parler lui permit de l'observer plus en détail. Elle avait comme des yeux de chien battu qui trahissaient son âge avancé et sa maturité, rare chez une personne d'une vingtaine d'année. Sa bouche pulpeuse avait des propriétés quasi hypnotiques qui lui firent plusieurs fois se lécher les lèvres sans qu'il ne s'en rende compte, et ses longs cheveux, très féminins, donnaient envie d'y passer la main pour les caresser. Etait-ce le fait qu'elle soit surnaturelle qui la rendait si fascinante ?

Après avoir terminé de lui raconter son histoire, elle lui demanda s'il voulait l'aider à remplir des "missions". Il ne comprenait pas de quoi elle voulait parler exactement, mais aurait pu sauter de sa chaise comme un diable sort de sa boîte. Il aurait pu lui sauter au cou pour la remercier de venir enfin le sortir du quotidien merdique de sa vie terriblement apathique, mais resta sage et bien assis, se contentant d'esquisser un sourire révélant le plaisir qu'il prenait dans cette conversation. Malgré tout, il ne su pas vraiment comment lui répondre. Chaque mot qu'il prononçait lui paraissait avoir le pouvoir de le ridiculiser face à une telle créature. Il aurait tellement voulu qu'elle le considère comme quelqu'un de bien.

- T'aider ? Eh bien... Je dois avouer que tu me prends un peu au dépourvu... Oui, bien sûr. J'aimerais beaucoup. Mais en quoi consiste exactement ces missions particulières dont tu parles ?

Il ne voulait pas la décevoir. Il voulait qu'elle lui apprenne tout ce qu'il y avait à savoir.

Lorsque Vincent vit que kage ne répondait pas à sa question, il se demanda s'il n'avait pas dit quelque chose de mal. Puis, quand il remarqua qu'elle sortait un papier de sa poche pour y noter son numéro, il sentit tout son corps se braquer. Elle avait décidé de partir. Il ne l'intéressait plus. Il l'avait intéressé pendant dix minutes, et elle venait enfin de remarquer qu'il n'était qu'un gros con inutile. Il resta muet, déçu, essayant de rester digne face à l'échec. Il aurait voulu lui sauter dessus pour lui demander de rester, de lui laisser une chance, pour lui montrer qu'il valait la peine, mais il n'était pas du genre à exploser de cette façon. Il baissa la tête, aspirant une bouffée de tabac qu'il recracha dans un soupir camouflé, et attendit qu'elle termine. Elle lui sortir une excuse qu'il n'écouta qu'à moitié, lui répondant vaguement un "D'accord" pas très engagé, et du s'empêcher de la regarder se lever pour ne pas perdre ses moyens.

Puis, elle s'arrêta pour le regarder, et il leva de nouveau les yeux vers elle. Elle semblait l'estimer, l'observant sans rien dire, et il aurait aimé lui demander ce qu'il y avait. Il ne le fit pas, evidemment. Mais elle finit par ouvrir la bouche pour lui demander s'il voulait l'accompagner chez elle pour discuter. Encore une fois, le coeur de Vincent sauta dans sa poitrine. Il aurait bien crié : "Oui !" mais il avait une certaine retenue. C'est pourquoi il du feindre la réflexion pendant trois secondes avant de répondre d'une voix qu'il tenta de conserver calme et relativement neutre.

- Heu... Oui, si tu veux. Si ça ne te dérange pas.

Voyant qu'elle faisait non de la tête, il se leva en ramassant le papier sur la table tout en y lachant quelques pièces, et se mit à marcher à ses côtés, dépassant les jeunes qui criaient à la terrasse, et arpentant les rues de Montmartre vers l'apparement de Kage.